La Garde des Sceaux et ministre de la justice française, Christiane Taubira, a donné une conférence sur la protection des libertés individuelles et la lutte contre le terrorisme, vendredi 24 avril, à l’Université de Montréal (UdeM). L’occasion de rappeler que, malgré la difficulté de combiner les deux, libertés et sécurité doivent rester des priorités dans des États démocratiques.
À l’occasion de la signature d’un partenariat entre le laboratoire de cyberjustice de la faculté de droit de l’UdeM et du ministère français de la justice, Mme Taubira s’est exprimée sur les nouvelles dispositions du projet de loi sur le renseignement, actuellement débattu à l’Assemblée. « Il faut pouvoir concilier la préservation des libertés chèrement conquises et l’exigence légitime de protection des citoyens », rappelle la ministre.
Prendre des mesures face au terrorisme
Consciente du travail d’équilibriste qui attend le gouvernement français et des débats soulevés dans la société civile à propos de la loi, la ministre a toutefois tenu à réaffirmer leur volonté de ne pas céder face à la menace du terrorisme. « Nous devons être capables de surplomber ces questions, affirme la ministre. Le terrorisme dévaste, il a des modes opératoires tout à fait nouveau, on ne peut pas capituler face à ça. »
Selon Mme Taubira, il faut, sans cesse, se rappeler les repères et les valeurs démocratiques, concrétisés par des documents comme la Magna Carta ou l’Habeas Corpus. « Ces documents nous arment, nous rappellent ce que nous sommes capables de faire et que nous ne devons pas céder à la panique ou entrer juste dans la répression », souligne-t-elle. Aussi, pour préserver des libertés chèrement conquises, les mécanismes de contrôle devront rassurer le citoyen, grâce à des lois. Pour ça, il y a des contrôles à chaque étape, explique la ministre. « Le citoyen peut saisir le conseil d’État, par exemple s’il pense qu’il a été mis sur écoute » précise-t-elle.
Les technologies invasives permettent un recueil massif d’informations mais je compte sur la vigilance citoyenne et la vitalité de la société pour rester alerte sur ces nouvelles dispositions.
Un travail d’équilibristes
Titulaire de la Chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l’information et du commerce électronique, le professeur Pierre Trudel a questionné la ministre sur la compatibilité entre notre société et les procédés de surveillance envisagés par les gouvernements, notamment la collecte de données. « La préoccupation de conquérir des droits fait partie de notre histoire, indique Mme Taubira. Ce sont des lois inscrites et il faut en tenir compte tout en se demandant comment répondre à des demandes de sécurité ? »
Le plan gouvernemental de lutte contre le terrorisme a d’ailleurs été renforcé en France en janvier 2015, suite aux attentats à Paris. Selon la ministre, les nouveaux dispositifs de contrôle en matière de surveillance doivent permettre de démanteler des réseaux. Pour autant, elle assure que le gouvernement est conscient du péril sur les libertés individuelles. « Dans une démocratie, il faut penser le système de contrôle, rappelle-t-elle. Les technologies invasives permettent un recueil massif d’informations mais je compte sur la vigilance citoyenne et la vitalité de la société pour rester alerte sur ces nouvelles dispositions. »
Privilégier la prévention
Pour sa réforme pénale, la Garde des Sceaux s’inspire d’ailleurs du modèle canadien. « Pour l’élaboration de la réforme pénale, je me suis servie des travaux canadiens sur la prévention de la récidive », rapporte-t-elle. Aussi prône-t-elle une individualisation de la peine pour « responsabiliser » l’auteur et lui permettre de sortir d’un parcours de délinquance. En somme, la réinsertion plutôt que la prison. Selon Mme Taubira, il y a un là un réel travail de compréhension à entretenir.
« On croit souvent que la prison est le lieu cardinal de la radicalisation, exprime-t-elle. En fait, seulement 15% des personnes radicalisées l’ont été en prison, 85% ailleurs. Il faut en tirer des enseignements et assécher le terreau dans lequel les terroristes recrutent. » Pour ça, internet permet désormais de dresser des profils plus précis. Mais là encore, l’équilibre est difficile à maintenir. « Suspendre un site pour des raisons de sécurité publique est aussi une entrave aux libertés, c’est toujours difficile, nuance Mme Taubira. Internet doit rester un espace de liberté infini mais ne doit pas non plus devenir un espace d’impunité. »
« Créer les conditions pour que la démocratie vive »
Évoquant le débat en cours au Canada autour du projet de loi antiterroriste C-51, qui prévoit notamment d’accroître les pouvoirs pour les forces de sécurité en matière de renseignement et de surveillance, Mme Taubira rappelle que dans des États de droit, les lois doivent primer. « Le Canada construit ses propres réponses. Mais je pense qu’il y a dans la société, aussi bien française que canadienne, des forces de vigilance et des institutions de contrôle qui s’assurent que la balance est faite entre les deux nécessités de protection des citoyens et de celle de préserver les libertés. Nous avons les moyens de créer les conditions pour la démocratie vive », assure-t-elle.
Mme Taubira a aussi critiqué les pressions sur les forces de sécurité françaises au cours des dix dernières années et réaffirmé sa volonté d’exemplarité pour le monde politique. « Je pense que le pouvoir politique doit être responsable, notamment en matière de formation », précise-t-elle. Malgré les controverses suscitées par le projet de loi et les difficultés pour trouver des réponses, la ministre se veut rassurante et ne doute pas que des solutions puissent être trouvées. « C’est difficile mais ensemble on est intelligents » conclut-elle, en souriant.
(crédit photo : Camille Feireisen)
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