Crédit photo : Marie-Claude Fournier – TV5 Mes états*nordiques
Sélectionné pour le Prix du public, dans la catégorie web-documentaire du WebProgram-Festival International, MES ÉTATS*NORDIQUES a traversé l’Atlantique direction le port de La Rochelle. Lieu prisé des Français pour leur villégiature, on est loin, très loin, de Kangirsuk, village du Nunavit dans la région du Nord-du-Québec. C’est là que Marie-Claude Fournier, réalisatrice, et Anne Laguë, journaliste, sont allées passer un mois pour rapporter ce « témoignage actuel d’une culture ancestrale ».
Elles n’ont pas remporté de prix cette fois-ci, mais ce n’est pas ce qui intéresse Anne et Marie-Claude, les deux initiatrices du web-doc MES ÉTATS*NORDIQUES. Pendant un mois, elles ont suivi le quotidien de Marie-Christine Poutré, une enseignante originaire de Montréal, partie enseigner dans le Grand Nord québécois.
Ce projet est d’abord né d’une amitié. Anne et Marie-Christine se connaissent bien. Depuis son départ, Anne suit le quotidien de son amie à travers son blogue « Mes États nordiques ». Elle fait même un voyage de quelques jours à Kangirsuk, et écrit quelques articles sur le Nunavik. À son retour tout s’accélère. Avec Marie-Claude, elles cherchent depuis longtemps un sujet à déposer au Fonds TV5 afin de partir sur ces territoires avec le financement nécessaire. La vie de ces professeurs “Quallunaat” (les non-inuits) sera leur porte d’entrée sur la réalité du Nord.
Marie-Claude raconte : « Au départ, on ne savait pas qu’on tournerait avec Marie-Christine. Puis, au mois de décembre 2011, peu de temps avant de déposer notre dossier à TV5, elle a annoncé sur son blogue qu’elle mettrait fin à son contrat l’année suivante. Et là, tout s’est enchaîné.» Elles proposent un scénario de 5 capsules au Fonds TV5, la chaîne leur propose de réaliser un web-documentaire.
« Montrer la base »
« Ça nous a permis d’élargir notre angle. On ne voulait pas de statistique ni offrir une vision misérabiliste des problèmes sociaux comme l’alcoolisme, car on entend parler que de ça. Il n’était pas questions non plus de les évacuer. Ce qu’on souhaitait montrer c’est la base : expliquer aux gens du sud comment fonctionne un village du nord pour qu’ils puissent se forger leur propre opinion.»
Elles quittent Montréal le 21 mai 2012, dans un contexte social lourd de sens, un mois après que les manifestations étudiantes ne dégénèrent en marge du Forum stratégique sur les ressources naturelles et du Salon Plan Nord, et quelques jours à peine après le vote de la Loi 78 visant à mettre fin au printemps érable.
Afin de conserver leur recul, cet écho plus politique, Marie-Claude et Anne l’apportent en filigrane dans leur web-doc. Grâce à l’interactivité du format, elles insèrent des albums photo, des portraits, des informations concrètes. « On montre la réalité comme avec l’explication du dépotoir (ndrl: site à ciel ouvert de dépôt des déchets). C’est incroyable de se dire qu’on va développer cette région alors qu’on ne sait même pas comment y gérer les matières recyclables », souligne la réalisatrice.
Choc des cultures
Elles laissent aux habitants de Kangirsuk le soin de raconter leur quotidien. Mais ce n’est pas sans peine qu’elles récoltent ces témoignages. Pendant un mois de tournage, elles ne cessent de s’agiter. « On est allées à la messe tellement souvent pour se faire voir », plaisante Marie-Claude. « Notre première impression était positive. Les gens étaient curieux, ils venaient nous poser des questions. Mais quand on venait les chercher pour une interview, certains se montraient assez timides. Par la suite, on nous a confirmé qu’ils étaient échaudés par les médias qui montrent souvent une image très négative d’eux. On a été patientes. On a expliqué nos intentions très clairement », explique Anne.
Barrière de la langue, choc des cultures, isolement, et ensoleillement maximal (17 à 18 heures de soleil par jour), elles font face avec lucidité et parfois frustration à tous ces clivages. À leur retour, elles travaillent avec leur équipe technique pour proposer un éclairage et une interface simple au public. MES ÉTATS*NORDIQUES rencontre d’ailleurs un bel accueil : présentation dans le cadre des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, WebProgram-Festival International, AWWWARDS, etc.
Pessimisme et sentiment d’impuissance
Cependant, quand on les écoute parler avec toujours autant de passion de ce projet, on constate également qu’elles ont ramené une perspective globale plus pessimiste sur l’issue des questions nordiques.
« J’ai vraiment réalisé l’ampleur de la situation, précise Anne. Il y a un peu plus de 60 ans, les Inuits vivaient encore dans les igloos. Puis, on a déresponsabilisé un peuple dans sa capacité à assurer son avenir, et celui de ses enfants (…) Aujourd’hui, chez nous comme chez eux, le Plan Nord n’est pas vraiment expliqué. Ce qui est certain c’est que les compensations offertes par les minières ne valent pas la perte d’une culture, la disparition d’un peuple. »
Marie-Caude enfonce le clou : « La manière dont je traduirais mon ressenti au retour est double. Il y a d’abord un sentiment d’appartenance pour la cause inuit, et plus largement celles des autochtones, mais également un constat d’impuissance devant le mal qu’on a pu leur faire en essayant de les assimiler. On ne peut plus revenir en arrière. C’est une situation avec laquelle on doit vivre. On ne leur a pas donné les outils pour s’accomplir, et c’est ça le plus gros défi aujourd’hui. »
La France veut sa part du Nord Québec
Encore plus méconnu des Français que des Québécois, le Plan Nord intéresse pourtant le gouvernement français et les grands fleurons de son industrie. En visite en France en octobre 2012, Pauline Marois rencontrait notamment les patrons d’EADS, Veolia, GDF-Suez, Total, ou encore Alstom. Ces entreprises n’ignorent pas la manne financière que représente cet espace aux ressources minières et énergétiques exceptionnelles. Mais que savent-elles des 2% de la population québécoise qui y vivent, parmi lesquels 33000 autochtones? Inuits, Innus, Cris, Naskapis auront-ils seulement leur mot à dire dans cette nouvelle phase des relations franco-québécoises?
En attendant, le site de MES ÉTATS*NORDIQUES ne se met pas d’oeillères puisqu’il n’est pas géolocalisé. Tout le monde peut le consulter en France et ailleurs, et “plus qu’on va en parler mieux c’est”, conclut Anne.
Retrouvez MES ÉTATS*NORDIQUES :
– Visionnez le web-documentaire
– Allez sur la page Facebook
– Consultez le blog de Marie-Christine
– Visionnez la bande-annonce :